Même si j’y ai vu le jour et passé la moitié de ma vie, le Nord s’est révélé à moi il n’y a pas si longtemps. Ce Nord qui, au-delà d’une jeunesse heureuse à cueillir les bleuets, ne représentait jusqu’alors qu’une grande mine à ciel ouvert. S’est révélé à moi un Nord que j’ignorais. Celui des Autochtones, des Inuits qui occupent près du tiers de notre province. Celui des Cris dont le territoire, qui couvre 25% du Québec, est spolié par les sudistes qui y cultivent en turbines une majorité de leur énergie. J’ai alors traversé une frontière invisible avec les Innus que j’avais côtoyés quotidiennement dans ma jeunesse sans jamais même avoir un échange avec eux. Pas un mot!

Décontenancée par tant d’ignorance, je me suis lancée dans une quête du Nord qui s’avéra être une quête identitaire. Sur le chemin, j’ai croisé des guides généreux, certains sont devenus des amis très proches, et surtout un mentor, Louis-Edmond Hamelin dont j’ignorais aussi jusqu’alors l’existence. Bien que le «père de la nordicité» ait mis au monde un Centre d’Études Nordiques en 1961, la Toile, il n’y a encore pas si longtemps, ne fournissait que très peu d’information sur le Nord. Et ce sont effectivement dans les écrits du «Père Hamelin», et dans les armoires du Centre d’études nordiques à Québec, que le Nord se raconta à moi page par page. Une mine de travaux sur le Nord se dévoilaient qui m’amenèrent rapidement vers ceux dont il y était question, les Cris, les Inuits, les Innus, etc… et vers leur environnement.

Découvrir Louis-Edmond Hamelin, c’était trouver réponse à toutes les questions qui m’animaient  dans ma quête de la nordicité, de MA nordicité. S’imposait alors une idée: Louis-Edmond Hamelin, son parcours et sa réflexion, devaient être accessibles au plus grand nombre. Par la voie d’un film! J’ai approché à ce moment Sylvie Van Brabant du Rapide-Blanc qui m’a dirigée vers son partenaire de toujours, Serge Giguère (un autre qui justifierait qu’on lui consacre un film). C’est en 2006 que le projet a commencé, avec une première rencontre officielle avec LEH (acronyme de la production)…Une rencontre entre le sujet et le réalisateur, un moment magique. Les deux hommes ont réalisé en se retrouvant, qu’ils avaient foulé le Nord ensemble il y avait plus de 30 ans avec le cinéaste Pierre Perrault. Ça, c’est la petite histoire… que le film ne raconte pas mais qui m’a fait comprendre que ce qui se passait là n’était pas un hasard et se devait d’être. C’était la suite de quelque chose entamé il y avait longtemps. La rencontre de deux grands hommes, un partage intellectuel et une amitié qui se sont développés au cours des six années qu’aura duré la production de ce film.  Un film qui arrive à point nommé pour le futur de la société québécoise dans son ensemble.

Il n’y a pas si longtemps, tout ce que les non-autochtones entendaient ou lisaient sur les Autochtones ou sur le Nord relevait de la crise sociale qui monopolise les énergies et les vies d’une majorité d’Autochtones qui subissent le déni et l’irrespect de nos gouvernements. NOTRE déni d’EUX! Il n’y pas si longtemps, et même encore aujourd’hui, le Nord n’était et n’est toujours considéré par plusieurs que pour les ressources minérales, forestières et énergétiques ou pour les panaches qui décorent les hangars des chasseurs. Ma rencontre initiale avec Louis-Edmond Hamelin et ma prise de conscience du Nord, il y a une douzaine d’années, a représenté un tournant majeur dans ma vie au point que je m’y consacre aujourd’hui à temps-plein. Et l’acquisition de ces connaissances m’inspire une responsabilité de les rendre utiles. À cet effet, depuis sept ans, je suis impliquée dans l’organisation de séminaires nordiques autochtones avec les Amis du Mushuau-nipi. Et je dirige depuis trois ans au Québec une ONG, l’Initiative boréale canadienne, qui promeut le leadership autochtone et la protection du territoire.

Enfin, pour ceux qui ont le Nord au cœur, mais surtout ceux qui n’ont pas encore le Nord dans le cœur… je vous invite à voir ou à revoir le film de Serge Giguère. Tous ensemble, Autochtones et non-autochtones, nous  devons aujourd’hui prendre des décisions déterminantes pour l’avenir du Québec et des générations qui vont nous suivre. Des décisions sur la façon de développer le Québec, la façon de développer le Nord, l’importance de la protection de nos territoires, l’importance d’établir une réelle relation de respect avec les Autochtones… Bref, Le Nord au Cœur nous livre une réflexion et des pistes de solutions pour prendre de bonnes décisions éclairées… Et je vous invite à poursuivre cette discussion avec nous.

Suzann Méthot

Suzann Méthot a accompagné Serge Giguère pendant sa tournée sur la Côte-Nord au Festival Ciné-7. Depuis octobre 2009, elle est Directrice régionale pour le Québec de l’Initiative boréale canadienne (IBC).

Pour en savoir plus sur la pensée de Mr Hamelin, à partir d’entrevues non retenues au montage final du film, procurez-vous le DVD qui vous propose 7 suppléments inédits.